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Recel de réquisitionnaire
Pierre Belle l'Ayné, maçon à Messincourt est le père de trois garçons, Pierre le Jeune (mon ancêtre), Ponce, et Jean dont il va s'agir ici.
Le dossier judiciaire est incomplet, et ne concerne en fait que le procès en appel. Mais celui-ci reprend et énonce les faits et dires de l'audience qui a condamné Pierre Belle à 300 francs d'amende et 1 an d'emprisonnement.
Voici donc l'histoire.

Le 22 Nivôse de l'an VI (1798), sur mandat d'amenée délivré par la police judiciaire du canton de Douzy à l'encontre de plusieurs réquisitionnaires du village de Messincourt, les gendarmes débarquent vers 4 heures du matin.
Les jeunes hommes recherchés sont, d'une part, les fils de Joseph JACQUEMIN, de Louis JACQUEMIN, de Jean-Baptiste LUSTRUBOURG, de Jean-Georges LUSTRUBOURG, de la veuve SAGEBIN, de la veuve MARIE, et de Pierre BELLE, et d'autre part, les citoyens Jean-Baptiste LOUIS, Nicolas LALLEMENT, et Etienne GUILLEMINOT.

Tous ces jeunes gens sont bien évidemment absents du village, "depuis 5 à 6 semaines" sauf Jean BELLE, qui, apparemment préféra dormir dans son lit, plutôt que dans la forêt toute proche, où tous devaient avoir établi leur campement en attendant que la réquisition passe...

Leurs père et mère viennent se défendre au tribunal, en audience du 24 ventôse, et expriment leur point de vue sur cette opération "coup de poing".

Joseph JACQUEMIN, fileur de laine, explique que son fils est absent depuis longtemps, qu'il ne sait pas où il est, et que par conséquent, il ne peut-être considéré comme le recelant. C'est donc "mal à propos que les gendarmes sont venus chez lui".

Louis JACQUEMIN, charron, a, quant à lui, déclaré qu'il n'aurait pas dû être compris dans le procès verbal de cette "descente judiciaire", puisque son fils est absent depuis bien avant que les gendarmes ne viennent le chercher, et qu'il ignore d'ailleurs où il peut être. Il ajoute, non sans ironie, que au cas où son fils reviendrait à la maison, il ne le recevrait pas "puisqu'il paraît que les ordres s'y oppose !"

La veuve MARIE, fileuse de laine, a dit que "son fils ne mangeait ni ne logeait point chez elle depuis longtemps, et qu'il est faux qu'il se fut évadé". Elle précise qu'elle ne l'a pas vu depuis 5 ou 6 semaines, et qu'elle non plus "s'il revenait, elle ne le souffrirait point" chez elle.

Jean-Georges LUSTRUBOURG, cultivateur et brasseur, raconte la visite musclée des gendarmes chez lui : ils "sont venus avec les sabres nus à la main en le forçant à dire où était son fils". Ne sachant rien, et "n'ayant que faire de leur visite", il leur demanda s'ils avaient reçus des ordres... Les gendarmes cherchèrent partout, de la cave au grenier, ont même fait ouvrir les armoires, et l'ont menacé "que si quelqu'un bougeait ils lui brûleraient la cervelle". Leur recherche fut infructueuse. Lui-même ne sachant où est son fils depuis... 5 à 6 semaines.

Jean-Baptiste LOUIS, manoeuvre, déclare qu'il a 36 ans, et qu'il n'est par conséquent pas récquisitionnable. Il ajoute ignorer si les gendarmes "lui ont couru après ou non", se souvenant "avoir entendu du bruit, sans savoir par qui il était fait", et qu'il s'était écarté du bruit, "attendu qu'il ne voulait avoir affaire avec personne".

Jean-Baptiste LUSTRUBOURG, cultivateur, ignore si les gendarmes sont venus chez lui ! Il était malade, couché dans son lit, et si les gendarmes affirment être rentrés chez lui, il ne les a point vus et ne leur a pas parlé, pas plus que son épouse. Sa servante lui a seulement raconté avoir vu entrer "un homme armé de sabre et de pistolet", à qui elle a proposé de se réchauffer au coin du feu pendant qu'elle allait prévenir sa patronne. Mais dans l'intervalle, l'homme est reparti, et elle a refermé la porte "attendu que c'était nuitamment". Cependant ce Monsieur, est très étonné que les gendarmes songent à rechercher son fils, alors que celui-ci s'est fait remplacé par un citoyen qui n'était pas susceptible de réquisition, et "qu'il a lui-même armé et équipé ledit remplaçant".

Nicolas LALLEMENT, nie le fait que les gendarmes aient trouvé porte close chez lui, et d'ailleurs ignore s'ils sont venus se présenter. N'ayant jamais fait partie d'aucun corps d'armée, n'ayant plus ni père, ni mère, et ayant beaucoup de terre à faire valoir comme fermier, il a "cru devoir rester pour élever ses jeunes frères et soeurs". Il est par ailleurs estropié d'un doigt à la main droite et est porteur d'un certificat d'un officier de santé par lequel il apparaît qu'il ne peut remplir aucune fonction militaire.

Etienne GUILLEMINOT, marié il y a 2 ans et demi, estropié de manière à ne pouvoir absolument faire aucun service militaire, dit que c'est donc "mal à propos qu'il est inscrit sur la liste des réquisitionnaires", d'autant qu'il a 35 ans et ne peut donc plus être réquisitionné.

La veuve SAGEBIN, nie qu'elle "réfugie son fils". D'ailleurs, la perquisition dans sa maison n'a pas permis de le trouver, et pour cause : "il est absent de chez elle depuis fort longtemps", et elle ignore où il est. Et bien sûr, "s'il revenait, elle ne le souffrirait point"...

Pierre BELLE l'Ayné, maçon, se défend en expliquant qu'il n'a pas dit aux gendarmes que son fils était parti, et que ne s'étant pas opposé à la fouille, et les gendarmes ayant trouvé tout de suite son fils, il ne peut être accusé de recel de réquisitionnaire.
Cependant la justice voit les choses d'un autre oeil.
Si son fils Jean a bel et bien été arrrêté par les gendarmes, il échappé à leur surveillance, avec la complicité de deux individus armés de couteaux, que bien évidemment personne ne connaît !
De plus Pierre BELLE, comme d'autres pères, s'est permis d'être quelque peu ironique, ce qui a dû achever d'irriter les gendarmes qui, n'ayant trouvé qu'un seul des prévenus, qui leur échappe de surcroît, ne devaient pas être particulièrement ravis...
En effet, lorsque les gendarmes demandèrent à Pierre BELLE s'il consentait à ce qu'ils emmènent son fils, il leur a répondu "qu'il était charmé qu'il partit avec un si honnête homme !"
Toujours est-il, que le jugement rendu par le tribunal correctionnel de l'arrondissement de Sedan à l'encontre de Pierre BELLE fut une amende de 300 francs au profit de la République et 1 an d'emprisonnement, "pour avoir recélé Jean Belle, son fils, réquisitionnaire".
Pierre fit appel, le 4 Germinal de l'an VI. L'appel fut examiné le 21 Floréal de l'an VI par le Tribunal criminel du département des Ardennes, dans une audience tenue à Mézières. Le jugement fut cassé et un nouveau procès se tint le 11 Brumaire de l'an VII au Tribunal correctionnel de Charleville.
Mais, "en application des dispositions de l'article 4 de la loy du 24 Brumaire dernier, le tribunal confirme la sentence du 24 ventôse de l'an VI".

Je ne sais pas si la sentence a été exécutée...

 

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© Lucile Houdinet - 2004