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Un village en guerre (1870)

Merci de respecter ce travail et la mémoire de ma mère, Colette Chopplet-Houdinet, qui en est l'auteur. Ne vendez pas ces informations, citez vos sources si vous utilisez ces documents. Un petit mot pour me faire connaître l'usage ou l'utilisation que vous pourriez en avoir serait aussi le bienvenu.

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La résistance (20 octobre - 31 décembre)


20 octobre 1870
On lit dans le journal une circulaire de M. TIRMAN, secrétaire général des Ardennes :
"Mézières va recouvrer sa liberté d'action. L'armistice qui nous paralysait expire aujourd'hui. Par des considérations d'ordre général, le gouvernement nous a imposé une inaction momentanée. Ne le regrettons pas. Car le temps de l'armistice n'a pas été perdu pour nous : nous avons pu compléter notre système de défense, nous avons organisé quatre compagnies de francs-tireurs, nos gardes nationales mobilisées se forment sur tous le points non envahis du territoire, les munitions et les approvisionnements abondent, tout est prêt...
Mézières est aujourd'hui le centre d'une défense sérieuse. Il ne vous marchandera pas son concours ; donnez-lui le vôtre !
Je ne vous demande pas de combats réguliers. C'est à l'armée que cette tâche incombe: elle n'y faillira pas.
Je ne vous engage pas même à défendre vos villages : n'exposez pas une population inoffensive et désarmée aux représailles de l'ennemi.
Ce que je vous demande, c'est de provoquer la guerre de partisans, si fatale aux gros bataillons. C'est à cette guerre que je vous convie, au nom du gouvernement.
A la première alerte, que les hommes de bonne volonté gagnent le bois. Là, qu'on s'abrite, qu'on se concerte, qu'on se partage la défense. Tout en combattant séparément, que tous se soutiennent : homme à homme, village à village. Au signal convenu, qu'on coure sus à l'ennemi ! Les fusils ne manqueront pas. Si vos hommes n'ont pu arriver à temps, qu'ils soient calmes et laissent s'accomplir la réquisition : ils attendront l'ennemi et lui feront rendre gorge...
Ne vous laissez pas intimider par les menaces d'incendie ! Elles ne sont pas à craindre quand on se défend avec vigueur et que chacun fait son devoir. Que vos hommes se gardent, c'est assez : nous les soutiendrons.
On m'affirme que des hommes, que je ne veux pas qualifier, dénoncent à l'ennemi les gens de coeur qui se lèvent contre lui. Si vous voyez un de ces trembleurs auxquels la crainte de représailles peut faire commettre une telle lâcheté, signale-le moi ! C'est au conseil de guerre qu'il appartient de droit car c'est un traître, complice des Prussiens.
Pas de forfanterie ! Du courage et du calme ! La situation est grave, mais la France est loin d'être perdue, malgré des fautes nombreuses et de nombreuses défaillances...
Soyons unis, nous la sauverons !"

25 octobre 1870
Le Courrier des Ardennes publie une lettre :
"Aux francs-tireurs, les Sangliers des Ardennes,
Enfants des Ardennes, vite aux armes !
Les hordes barbares souillent le sol de notre chère patrie, elles traînent avec elles la dévastation, l'incendie et la mort !
Vous ne voudrez pas plus longtemps rester dans une inactivité coupable et voir sans indignation tant de malheurs et tant de hontes !
Debout alors, ceux qui ne veulent pas demeurer sourds à notre appel !
Qu'ils se joignent à cette phalange des Sangliers ardennais déjà nombreux !
Il nous reste encore à leur offrir de bonnes armes et un fraternel accueil. (1)
Qu'ils viennent se grouper autour de notre bannière et que, dans le même sentiment patriotique, notre cri de ralliement soit : VENGEANCE !
Nous jurerons alors tous ensemble, comme l'on déjà fait les premiers enrôlés, de ne déposer les armes que quand notre dernière balle aura couché dans la poussière le dernier de nos envahisseurs.
Union, énergie, confiance ! et vive la France !
le Capitaine des Sangliers ardennais, MERLIN."

De tels articles, si vibrants de patriotisme, trouvent désormais sans peine un écho dans les coeurs de Lonny, qui sont insensiblement entrés dans la guerre : des hommes sont partis ; d'autres manoeuvrent chaque jour...

Mercredi 26 octobre 1870
On apprend qu'un régiment prussien est installé dans le coin (est-ce à Neuville ? est-ce à Aubigny ?). Il se livrerait à des réquisitions, des incendies, des pillages, des viols... (2)
Alors on se rappelle un article lu dans le journal du 6 septembre et qu'on avait jugé excessif : "Est-ce là la guerre, Bon Dieu ? Est-ce là la guerre ? Oui, c'est la guerre, comme on la faisait dans les siècles de barbarie, mais ce n'est pas la guerre comme elle devrait se faire entre peuples civilisés. Piller de pauvres paysans, incendier des villages inoffensifs, détruire, renverser, saccager des propriétés privées, c'est le fait des hordes sauvages, ce n'est pas le fait d'une nation qui a la prétention d'être la première des nations d'Allemagne et de marcher à la tête de la civilisation germanique !"
La peur gagne...

Vendredi 28 octobre 1870
Vers 10 heures du matin, Lonny voit arriver la Première Compagnie de Francs-Tireurs, venant de Tournes, où elle campe depuis deux jours.
Son capitaine WILLEMET réunit pour une conférence ses officiers et ceux de la Garde nationale de Lonny : il a appris la présence, aux environs de Vaux-Villaine, d'un fort détachement de Landwehr, éclairé par un escadron de Uhlans. La troupe s'est quelque peu aventurée, assez loin de son cantonnement. Que faire ? L'occasion est peut-être bonne ?
Tout le monde est bientôt d'avis de tenter une opération sur les points occupés par l'ennemi, après avoir demandé des renforts à la Place de Mézières, afin de couper la retraite au régiment prussien.
Aussitôt, on se rassemble, on s'équipe, on se met en route : francs-tireurs et gardes de Lonny.
Le village ne verra rentrer le groupe qu'à la nuit tombée : un groupe fatigué, tête basse, déçu. L'expédition a finalement été un échec, puisque les Prussiens n'ont pas décroché.
Et on ramène 7 morts dont Gustave AMOUR, le boulanger de Lonny, 36 ans, et 13 blessés. Plusieurs, traqués par l'ennemi, ont failli périr. Pourtant l'affaire semblait bien partie !
Tout en mangeant, les hommes racontent : au début, ils avançaient résolument, comptant sur l'effet de surprise. Lonny, Sormonne, Wartigny... A Rouvroy, ils trouvent les Prussiens. Le capitaine WILMET hésite, mais plusieurs gardes de Lonny se montrent si enragés et si persuasifs qu'il fait porter ses troupes en avant. Les Prussiens sortent alors du village en poussant de gigantesques "Hurrah !", auxquels répond le cri du capitaine : "A la baïonnette !". Et il s'élance, suivi de quelques-uns de ses hommes et de ceux de Lonny, avec tant de vigueur qu'ils finissent par repousser les Prussiens dans Rouvroy. Ils ont mis hors de combat 19 morts ou blessés.
Deux compagnies de mobiles sont même arrivées de Rocroi, seulement voilà... Le renfort était insuffisant pour songer à déloger l'ennemi dont la position était solide ; et d'ailleurs, le soir venait...
Quelques heures plus tard, on apprend que Jean Louis COCHART, le fils de Jean Pierre COCHART d'Harcy, est mort : ses blessures étaient trop graves. Après plusieurs jours, on est franchement consterné : il paraît que les Prussiens se sont livrés à des représailles sur le malheureux village de Rouvroy. 26 maisons ont disparu dans un gigantesque incendie. Ils se sont emparés de tout, même des vêtements des femmes et des enfants ! Ils ont déchiré ou détruit tout ce qu'ils n'ont pu emporter ! Les 40 hommes du village pris en otage, ont été enfermés dans l'église, et ils ont du désigner trois d'entre eux pour être fusillés...

31 octobre 1870
On enterre le boulanger Gustave AMOUR.
Pourtant, malgré la rage et le désespoir engendrés par l'échec, il faut continuer... Chaque homme doit harceler l'ennemi. Chaque homme doit se forger une mentalité de soldat. Chaque homme, dans chaque village, doit participer à un vaste mouvement populaire qui chassera les Prussiens. Il n'est pas d'autre façon de faire la guerre quand on n'a plus d'armée...
Léon Gambetta, ministre de l'Intérieur et de la Guerre, stimule les volontés avec sa célèbre énergie. Le 2 novembre 1870, il envoie au Préfet une circulaire qui réclame des agents de renseignements :
"Le gouvernement de la Défense nationale a besoin d'être éclairé d'une façon régulière sur les mouvements des armées ennemies et des corps plus ou moins nombreux qui se répandent dans les départements pour les occuper et les mettre à contribution. Il vous est facile, avec le concours des sous-préfets et des maires, de fournir à cet égard les renseignements les plus sérieux et les plus circonstanciés.
En groupant tous les documents qu'il recevra par l'intermédiaire des préfets et des sous-préfets, le gouvernement se rendra plus complètement compte des marches et contremarches de l'ennemi, et de l'importance des forces réunies ou disséminées sur les divers points du territoire. Il faut que, désormais, notre armée soit à l'abri de toute surprise. C'est là un point d'un immense intérêt national sur lequel j'appelle toute votre attention.
Les instructions que vous devrez adresser aux sous-préfets et aux maires sont les suivantes :
Sur tous les points du territoire où la présence de l'ennemi sera signalée, les maires enverront des émissaires qui auront à observer :
l'importance des troupes ennemies, en distinguant soigneusement les différentes armes : infanterie, cavalerie et artillerie.
la route suivie par le corps observé, le lieu de départ et le point présumé vers lequel il se dirige.
l'heure d'arrivée, la durée de stationnement et l'heure de départ.
enfin, toutes les particularités qui se manifesteront, quelques minimes qu'elles paraissent, leur importance au point de vue des opérations militaires pouvant échapper à l'esprit des observateurs.
Les maires devront, chaque jour, vous transmettre ou transmettre au sous-préfet de leur arrondissement, par la voie la plus rapide, un bulletin comprenant les indications qui précèdent. Vous inviterez ces magistrats à utiliser, soit comme émissaires chargés d'observer l'ennemi, soit comme agents de transmission, les agents et facteurs de la poste, les gendarmes, les cantonniers et tous les habitants qui voudront mettre au service du pays leur intelligence et leur dévouement.
Les maires seront rendus personnellement responsables de la négligence qu'ils apporteraient à l'organisation du service de renseignements et je suis décidé à traduire devant la cour martiale ceux d'entre eux qui auraient failli à leur devoir."

Aussitôt, tout Lonny, comme chaque village, se fait espion...

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(1) Les francs-tireurs reçoivent 25 centimes par jour, l'habillement et le vin
(2) cf. Jules POIRIER : le siège de Mézières

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