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Un village
en guerre (1870)
Merci de respecter
ce travail et la mémoire de ma mère, Colette Chopplet-Houdinet,
qui en est l'auteur. Ne vendez pas ces informations, citez vos sources si vous
utilisez ces documents. Un petit mot pour me faire connaître l'usage ou
l'utilisation que vous pourriez en avoir serait aussi le bienvenu.
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La résistance (20
octobre - 31 décembre)
4 novembre 1870 :
Un décret est placardé sur les murs :
"Considérant que la Patrie et en danger, que tous les citoyens se
doivent à son salut, que ce devoir n'a jamais été ni plus
pressant ni plus sacré que dans les circonstances présentes, tous
les hommes valides de 21 à 40 ans, mariés ou veufs avec enfants
sont mobilisés."
Cette fois, c'est une guerre qui touche chaque foyer...
Lundi 7 novembre 1870 :
Dans le Courrier des Ardennes, on lit avec un immense intérêt un
article intitulé "Aux habitants des campagnes", qui donne à
chaque village une mission précise. La guerre politique et nationale est
devenue une lutte individuelle contre des brigands...
"De tout temps, il a été reconnu et admis que, dans les guerres
sites civilisées, tout homme en état de porter les armes a le droit
de défendre da maison, son champ contre l'ennemi, avec la première
arme qui lui tombe sous la main : bâton, fourche, faux, hache ou fusil.
Si cet homme est pris les armes à la main, il ne peut être traité
que comme un combattant, c'est-à-dire fait prisonnier de guerre. Le droit
du vainqueur ne va pas plus loin.
Le Prussien, après avoir violé tous les droits de l'attaque en pillant,
incendiant, violant, assassinant, veut mettre des limites à la défense
! Moquez-vous de cette opération extravagante !
L'Europe, indignée de la guerre que font les Allemands, proteste avec horreur
contre les cruautés inouïes qu'ils commettent depuis le commencement
de la campagne. Remarquez que l'homme n'est cruel que lorsqu'il a peur... Repoussez
donc ces lâches par tous les moyens en votre pouvoir ! Si vous ne vous défendez
pas, soyez sûrs que l'ennemi vous prendra tous vos chevaux de labour, vos
boeufs, vos charrettes, le peu de foin que vous avez pu mettre engrange pour l'hiver,
le blé qui remplit vos greniers ; qu'il incendiera ce qu'il ne pourra emporter
et vous maltraitera par-dessus le marché !
Si vous êtes près d'une place forte, il vous mettra en réquisition
pour creuser les tranchées et vous exposera au feu de vos frères
et de vos enfants qui défendent la place... Si vous ne voulez pas être
ruinés d'abord, puis bastonnés par la soldatesque la plus brutale
du monde et conduits à la corvée comme un troupeau de moutons, vous
voyez bien qu'il faut vous défendre à outrance !
Le première précaution à prendre, à l'approche de
l'ennemi, est de creuser dans un terrain sec, de préférence dans
les bois, des fosses profondes où vous enterrez votre blé, vos pommes
de terre, tout ce qui ne peut pas se détruire par un séjour plus
ou moins prolongé dans la terre. Vous recouvrirez bien ces fosses avec
de la terre, des feuilles, des abattis qui n'aient pas l'air d'être frais,
du gazon, etc. Ne le recouvrez pas de planches, sauf si vous mettez au moins deux
pieds de terre par-dessus : autrement, cela rend un bruit sourd qui trahit la
cachette. On appelle cela des silos en Afrique. Ayez soin d'emporter au loin les
terres du déblai et de ne pas les laisser dans le voisinage de la fosse.
Cachez bien votre argent monnayé et n'en gardez sur vous que ce qu'il faut
pour vivre quelques mois. Si vos chevaux ne peuvent servir à vous éloigner
de l'ennemi, ni être utile à notre cavalerie et à notre artillerie,
faites enlever par le maréchal-ferrant toute la corne dure du sabot, jusqu'à
la corne tendre. Cela est sans danger pour l'animal, et, si le Prussien peut le
manger, il ne peut du moins pas s'en servir avant six mois !
Dirigez vos boeufs et vos moutons sur les plus grandes villes qui sont en état
de se défendre. Ils vous seront payés ou rendus quand l'ennemi aura
été chassé du sol de la France. Si vous êtes trop loin
des villes, dispersez votre bétail dans les bois, loin des routes accessibles
à l'artillerie et à la cavalerie ennemies.
Déposez dans les gués des rivières, à l'approche des
ennemis, vos herses pointes en haut, et, si vous n'avez pas de herses, semez les
gués de tessons de bouteilles cassés menus. Coupez les ponts de
pierre, brûlez les ponts de bois, creusez dans les routes des profondes
tranchées en zig-zag, des trous de loup en entonnoir avec un pieu au milieu,
rendez les chemins impraticables pour la cavalerie et l'artillerie.
Si vous avez un maire solide ou un chef militaire dans les environs, ne prenez
aucune de ces mesures à la hâte et sans le consulter. Les gués,
les ponts et les chaussées peuvent être utiles à notre armée,
soit pour battre en retraite, soit pour faire un mouvement en avant.
Mais si tout le pays est au pouvoir de l'ennemi, si notre armée ne doit
ou ne peut opérer prochainement dans les environs, prenez immédiatement,
sans consulter personne, toutes les mesures défensives que votre intelligence
vous suggérera.
Si vous avez un bon tour à jouer à l'ennemi, n'en parlez à
personne qu'à ceux qui vous aideront matériellement, et encore ne
le dites pas surtout aux habitants des petites villes ou des villages qui y mettraient
des entraves, par crainte des représailles...
Défiez-vous des étrangers qui arriveront chez vous et qui parlent
français en confondant le P et le B, le V pour le F et réciproquement.
Si ces gens-là ne sont pas des Alsaciens pur sang, ou des Lorrains du nord,
ce sont des espions prussiens. Défiez-vous surtout de ces Allemands tailleurs,
cordonniers, brasseurs, ouvriers de fabrique, qui ont pu vivre dans votre voisinage
pendant la paix de 55 ans entre la France et la Prusse. Ils ont fait baisser partout
le salaire de l'ouvrier. Chassés de France ou appelés sous les armes
de leur pays, ce sont eux qui guident les dévastateurs et leur indiquent
où porter la ruine et l'incendie au foyer qui leur a donné l'hospitalité
pendant de longues années. Soyez impitoyables pour ces misérables
! Ce sont eux qui, déguisés en Uhlans, ont porté partout
dans l'est de la France une terreur stupide mais légitime de la part des
populations désarmées par la trahison de l'Homme de Sedan...
Il n'est pas besoin de vous recommander de bien traiter nos soldats, nos mobiles,
nos francs-tireurs, qui se présenteraient dans vos fermes : votre coeur
vous dira que sur eux reposent votre existence et l'indépendance de notre
pays.
Si c'est l'ennemi au contraire qui se présente chez vous, feignez d'être
stupide quand il vous demande des renseignements, de ne pas comprendre son baragouin
; pour lui, soyez aveugle et muet au sujet des francs-tireurs ; donnez-lui littéralement
la clé de votre cave : il ne manquera pas de s'enniver et de dormir comme
une brute. Faites des prisonniers tant que vous pourrez, si vous avez quelque
chance de les mettre en lieu sûr, de les diriger sur nos lignes : chaque
prisonnier est un otage qui répond de votre vie et de celle de vos voisins.
Les blessés de l'ennemi, ses hommes gravement malades, doivent être
secourus et bien traités. Où le combattant disparaît, l'homme
reste et l'humanité reprend ses droits, même envers celui qui a violé
les droits de l'humanité. Vis-à-vis des combattants, notre devoir
est de rendre le mal pour le mal. Vis-à-vis des non-combattants, de rendre
le bien pour le mal..."
Jour après jour, on lit dans le journal
des comptes-rendus navrants et effrayants : des coups de main, des passages rapides
d'armées qui semblent formées de voleurs et d'assassins, et dont
les officiers montrent encore plus de cruauté que les simples soldats.
Les gens tremblent de voir l'étau se resserrer...
Mercredi 9 novembre 1870 :
Le Conseil municipal de Lonny note, avec une nuance d'étonnement ou d'appréhension
: "La commune n'a pas encore été envahie par l'ennemi"...
Mais une semaine plus tard exactement, le
16 novembre, un frisson traverse le village : les Prussiens sont en vue ! Ils
viennent à Lonny ! Que vont-ils faire ?
Chacun est bien d'avis qu'il ne faut pas trop s'opposer à leurs désirs...
Ils s'arrêtent et demandent des pains : les boulangeries Amour et Troyon
en fourniront l'un trois, l'autre deux.
Et du vin ! Du vin !
23 bouteilles sont réquisitionnées à l'ambulance de la commune.
Juste Ciel ! C'est là tout ! Ils poursuivent leur route vers Harcy... Bientôt
on entend des coups de feu qui viennent de la Grand-Route (actuelle Route nationale).
On tend le dos...
On saura dans la soirée que ce sont des mobiles, logés à
Harcy, qui ont tiré. Aussitôt, les Prussiens ont brisé les
fenêtres. Puis, à Rimogne, on ne sait trop pourquoi, ils ont brûlé
une briqueterie et surtout ils ont enlevé le maire !
Le lendemain, 17 novembre, le maire de Rimogne
est relâché, mais il paraît qu'il a été malmené.
Et soudain, un cri dans les rues : les voilà ! Toute une troupe de Prussiens
arrive. Ils ont l'intention de bivouaquer là. Pourvu que personne ne résiste
!
Les réquisitions pleuvent : le buraliste Adolphe DETRAU fournira le tabac,
4 livres. A la boulangerie AMOUR, il reste deux pains. Il n'y en a pas d'autres
? Mais il y en a certainement chez les habitants.
Et 31 familles fourniront 34 pains donnent deux pains : DROUART, CGERET, DUCHESNE
fils, la veuve DUCHESNE.
Donnent un pain : NISOLE-TROYON, THIEBAULT, BOURGEOIS-DELMONT, BOCHET-COCHART,
GOBERT, TAVERNIER, NISOLE-GALICHET, DEBRAY fils, VAUTIER-LECLET, DAPREMONT-BARRE,
Jules BRIARD, NISOLE-BADRE, DANDRIMONT, DEVY-BRIARD, Ch. VAUTIER, GEOLTRAIN, PIERRON,
MATHIEU, BOCQUILLET-MARTIN, BOURGEOIS-NISOLE, la veuve BUCHET, DELMONT, LEBLANC,
ROGE, DREPTIN, TROYON-BOCQUILLET).
Du vin ! Il fait aussi du vin !
Madame BUCHET, qui tient une épicerie près de l'église, propose
6 bouteilles.
Encore ! Encore !
Dix familles rassembleront 100 bouteilles, chacune en donnant 10 (le notaire HUBERT,
HANNEQUIN, HORBETTE le distillateur, la veuve SAINGERY-MOZET, la veuve SAINGERY-RENARD,
NISOLE-TROYON, DETRAU-BOURGEOIS, RICARD l'aubergiste, TROYON-BOCQUILLET le boulanger,
JOSEPH le notaire).
Et les chevaux ont besoin d'avoine. Que
les cultivateurs les nourrissent ! CHERET apporte 24 kg., BOCHET, 46 kg., DAPREMONT,
50 kg., Hyppolite BRIARD, 55 kg., GRIDAINE, 63 kg., NISOLE-TROYON, 64 kg., GEOLTRAIN,
67 kg., MATHIEU, 77 kg.
Quant à Jules BRIARD-THIERRY, il donne 50 kg. Et une vache que réclament
les Prussiens.
Vendredi 18 novembre :
Encore des soldats. Mais ils sont seulement de passage. L'aubergiste RICARD, sur
la Grand-Route, doit cependant leur livrer 5 bouteilles de vin.
Vendredi 25 novembre :
Une colonne de 600 ennemis monte vers le nord.
Samedi 26 novembre :
Vers 9 heures et demie, on voit quelques 200 Prussiens se diriger vers Harcy.
On apprendra plus tard que c'était une expédition punitive, conduite
par les Uhlans qui se souvenaient des coups de feu du 16
Ils ont retrouvé sans peine la maison sur la Grand-Route d'où les
mobiles ont tiré. Et ils y mettent le feu, tandis que quatre cavaliers
montent la garde à 100 mètres de là, pour empêcher
de porter secours à Monsieur GEORGES (il a 74 ans). Quand il cherche à
sauver quelques-uns de ses meubles, il est sauvagement frappé à
la tête. Mademoiselle VILLAIN, la vieille servante, tente d'éteindre
l'incendie : de violents coups de sabre lui tranchent presque la main droite.
Il est même impossible de pénétrer dans les écuries
et tous les bestiaux brûlent vifs. Toues les récoltes, tout le mobilier
sont bientôt la proie des flammes : le désastre sera évalué
à 60 000 francs.
Terrifiant spectacle que regardent les voisins, tristes et crucifiés devant
leur impuissance
Puis, les Prussiens, qui semblent dans un état complet d'ébriété,
abandonnent les ruines et arrivent en trombe à Rimogne, à l'entrée
duquel ils brûlent deux maisons, pendant que les Uhlans traversent le village
au galop, s'attaquent sur leur passage à toutes les portes et fenêtres
dont ils cassent les carreaux à coups de sabre. Ils s'emparent des objets
et de l'argent qu'ils trouvent.
Quand les mobiles, disséminés dans les maisons où ils logent,
sont revenus de leur surprise et qu'ils réussissent à se rallier,
les Prussiens ont déjà disparu, emmenant en otage cinq conseillers
municipaux dont ils espèrent tirer rançon.
Dimanche 27 novembre :
Des Prussiens encore !
En deux fortes colonnes, ils se dirigent vers Rimogne. Mais ils y sont étonnés
de la résistance : la garde mobile, les francs-tireurs de l'Argonne et
une partie de la garnison de Rocroi marchent au-devant d'eux et les repoussent.
Alors, les Prussiens s'enfuient par la route du Châtelet après avoir
perdu10 hommes, tués ou blessés. Ils abandonnent plusieurs chevaux
dont un, blessé à la fesse, qui fera dire au commandant de la Place
de Rocroi devant lequel on le conduit : "Voilà une preuve évidente
que les prussiens ont tourné le dos aux mobiles !". Les conseillers
municipaux de Rocroi ont été libérés.
Mardi 29 novembre :
A l'ambulance de Lonny, meurt encore un jeune soldat de 24 ans, Jean SEGUIN, originaire
du Gers. On l'enterre dans le cimetière du village, à côté
de cet autre jeune soldat mort il y a deux mois
Mercredi 30 novembre :
Des douaniers français en mission dans les Ardennes passent sur la Grand-Route,
pour retourner dans le département du Nord. Lonny leur apprend que les
prussiens occupent le village de Remilly-lès-Pothées et qu'ils y
opèrent des réquisitions. Les douaniers décident de se détourner
de leur route et de régler son compte à l'ennemi.
Jeudi 1er décembre :
A midi, une importante colonne prussienne arrive à Lonny et se dirige vers
Harcy. Les soldats se répandent de chaque côté de la Grand-Route
protégée par une batterie d'artillerie pendant qu'ils gravissent
le côte. Une barricade coupe le chemin d'Harcy à Renwez, occupée
par des francs-tireurs qui la défendront longtemps avant d'être délogés
par la mitraille et de se replier dans les bois
Les Prussiens braquent alors
leurs trois pièces sur Harcy : il est 13 heures trente, et le bombardement
va durer jusqu'à 16 heures. Plus de deux heures !
Puis, c'est le pillage organisé : les ennemis parcourent le village en
brisant portes et fenêtres, réclament à boire et à
manger et ramassent en un instant toutes les provisions
Mais un petit groupe d'entre eux se fait remarquer : des soldats dont saura plus
tard que ce ne sont pas des Prussiens, mais des Polonais du duché de Posen.
Malgré leur langage inintelligible, ils savent expliquer que, moyennant
un peu d'argent, ils sortiront les meubles des maisons pour les protéger
: il faut aller vite, les officiers viennent de donner l'ordre d'incendier le
village ! Devant leur air sympathique, une femme leur propose 5 francs et, effectivement,
ils mettent aussitôt les meubles à l'abri. Mais ils ne peuvent en
faire plus : le feu commence à la maison de Mr. Georges FROUGNUT et se
communique aux maisons voisines. Un autre feu est allumé chez Mr. TATON
fils. Une heure après, ce sont 14 habitations qui sont en flammes. Sans
doute, y en aurait-il eu beaucoup plus, mais le commandant prussien est tué
; et sa mort évite au village le ruine totale.
Il paraît que la 14ème division
allemande, libérée par la capitulation de Thionville et Montmédy,
installe ses batteries pour investir Mézières.
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